Æquido News Avril 2016 – De nouvelles règles comptables à compter du 1er janvier 2016

La 4ème directive de 1978 sur les comptes individuels et la 7ème directive de 1981 sur les comptes consolidés ont vécu, après plus de 30 ans de loyaux services. Elles ont été remplacées par une directive comptable unique publiée le 22 juin 2013 et relative, non plus aux comptes, mais aux états financiers et aux rapports y-afférents. Cette directive s'est délibérément placée dans l'optique d'allègement des charges administratives pour les PME: quatre catégories d'entreprises (micro, petites, moyennes et grandes) et trois catégories de groupes (petits, moyens et grands) sont définis en fonction de seuils relativement élevés.

La directive définit dix principes généraux de l’information financière applicables aux états financiers, dont le principe de prudence qui n’est pas retenu par les normes IFRS. Il faut également noter l’introduction, au niveau des comptes individuels, du principe d’importance relative. Une nouveauté notable concerne l’introduction du principe du respect de la substance. Ce principe, conforme à l’esprit du nouveau cadre conceptuel de l’IASB, conduit à comptabiliser en se référant à la substance de la transaction. L’application de ce principe de substance au contrat de crédit-bail conduirait à constater, au bilan du preneur, un actif et un endettement de même montant.

Cette comptabilisation est proscrite en France dans les comptes individuels, qui servent de base à la détermination du résultat fiscal. Elle continuera à l’être. La directive prévoit en effet qu’un Etat membre pourra exempter les entreprises du respect des exigences liées à ce principe de substance. Comme quoi une directive européenne peut dire une chose et son contraire, traduisant ainsi l’incapacité des Etats à se doter d’un langage commun. La directive comportant de nombreuses options, chaque Etat continuera à faire son marché. L’Europe comptable restera donc une tour de Babel. On comprend mieux ainsi comment le règlement européen du 19 juillet 2002 imposant aux sociétés cotées de l’UE la présentation de leurs comptes consolidés conformément au référentiel IFRS, après approbation par l’UE, était la seule voie possible pour une normalisation comptable européenne !

Pour autant, un certain nombre de dispositions comptables françaises significatives, non conformes aux exigences de la directive, ont dû être modifiées. L’ordonnance de transposition 2015-900 et son décret 2015-903 énoncent en effet de nouvelles obligations comptables en vigueur pour les comptes des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2016, et abrogent diverses dispositions qui relèvent de règlements de l’Autorité des Normes Comptables (ANC). Les mesures les plus marquantes apportées par cette ordonnance et ce décret du 23 juillet 2015 sont résumées ci-après.

 

    1. Obligations générales des commerçants

Les frais de développement, qui prennent de plus en plus d’importance, sont amortis sur la durée d’utilisation estimée des projets et cette durée est justifiée dans l’annexe. Si leur durée d’utilisation ne peut être estimée de façon fiable, les frais de développement sont amortis sur une durée maximale de cinq ans. Les changements de méthodes comptables ne sont désormais autorisés que dans des cas exceptionnels définis par l’ANC. Il est ajouté à l’article R 123-184 du Code de commerce que sont dorénavant présumés être des participations les titres représentant une fraction du capital supérieure à 10%.

Un élément de l’actif immobilisé dont la durée d’utilisation est limitée est amorti sur cette durée selon un plan d’amortissement. Pour les actifs incorporels, un règlement de l’ANC fixe les conditions de détermination de leur durée d’utilisation, limitée ou non. Que cette durée soit limitée ou non, les éléments de l’actif immobilisé font l’objet d’une dépréciation lorsque leur valeur actuelle est inférieure à leur valeur comptable et si l’on prévoit que la perte de valeur sera durable. La valeur actuelle est la plus élevée de la valeur vénale ou de la valeur d’usage. Selon le nouvel article 214-6 du Plan Comptable Général (PCG), la valeur vénale s’identifie au montant qui pourrait être obtenu de la vente d’un actif lors d’une transaction conclue à des conditions normales de marché, net des coûts de sortie. La valeur d’usage s’identifie à la valeur des avantages économiques attendus de son utilisation et de sa sortie, correspondant à l’estimation des flux nets de trésorerie actualisée attendus de l’actif.

L’ANC a précisé, dans la présentation du règlement 2015-06, les modalités de dépréciation des actifs. Ces précisions sont intégrées sous forme de commentaires (en couleur bleue) dans le recueil des normes comptables françaises dans sa version applicable au 1er janvier 2016. Elles permettent de se rapprocher, dans une certaine mesure, de certaines dispositions de la norme IAS 36 « Dépréciation d’actifs ». La meilleure indication de la valeur vénale est, par ordre décroissant:

  • le prix figurant dans un accord de vente irrévocable dans un environnement de concurrence normale, après déduction des coûts de sortie;
  • le prix résultant d’un marché actif, net des coûts de sortie;
  • une estimation, à partir de transactions récentes, sur des actifs similaires dans le secteur d’activité.

Les projections de flux de trésorerie entrant dans le calcul de la valeur d’usage s’appuient sur des prévisions budgétaires établies par le management sur une période maximale de cinq ans sauf exception et sur la base d’hypothèses documentées, raisonnables et cohérentes d’utilisation de l’actif dans son état actuel. Au delà de cinq ans, les flux de trésorerie font l’objet d’une extrapolation des données budgétaires avec utilisation d’un taux de croissance stable ou décroissant selon le contexte économique et sans pouvoir excéder la moyenne sectorielle. L’extrapolation est établie soit sur un horizon infini, soit sur une période limitée avec prise en compte d’une valeur terminale correspondant à la valeur nette de sortie de l’actif. L’actualisation des flux futurs de trésorerie est désormais mentionnée à l’article 214-6 modifié du PDG. Le taux d’actualisation doit refléter la valeur temps et les risques spécifiques à l’actif dans la perspective de son utilisation par l’entité. Selon l’article 214-15 du PCG, un test de dépréciation doit être réalisé à chaque clôture en cas d’indice de perte de valeur. Celui-ci consiste à comparer la valeur nette comptable de l’actif à sa valeur actuelle. Par exception, un test annuel systématique est requis pour les fonds commerciaux à durée d’utilisation non limitée. Les groupes d’actifs sont désormais identifiés comme un niveau possible de mise en oeuvre des tests de dépréciation en cohérence avec la notion d’Unité Génératrice de Trésorerie (UGT) d’IAS 36, dès lors qu’ils génèrent des avantages économiques autonomes. Déterminés selon le mode de gestion et de suivi des activités, ils comprennent le cas échéant une allocation raisonnable et cohérente d’actifs de support. L’éventuel fonds commercial à tester est affecté de manière pertinente aux groupes d’actifs en fonction du niveau de suivi de ses performances.

En cas de dépréciation d’un groupe d’actifs, la perte de valeur est imputée en priorité au fonds commercial (y-compris une éventuelle quote-part de mali technique de fusion affectée), puis aux autres actifs le composant. Selon l’article 214-19 du PCG, la perte de valeur sur un fonds commercial est par exception définitive, à la différence des dépréciations par nature réversibles sur les autres actifs.

   

   2. Comptes sociaux

Sont dorénavant inclus dans l’annexe:

  • l’état des cautionnements, avals et garanties données par la société;
  • l’état de sûretés consenties par la société;
  • le tableau faisant apparaître la situation des filiales et participations.

 

   3. Comptes consolidés

 

Les sociétés commerciales ne doivent dorénavant établir des comptes consolidés que si elles contrôlent de manière exclusive ou conjointe une ou plusieurs entreprises. Autrement dit, les entreprises sous influence notable ne sont plus prises en compte pour déterminer si une société à l’obligation d’établir des comptes consolidés. En revanche, les entreprises sous influence notable seront incluses dans le périmètre de consolidation. Les seuils d’exemption d’établissement de comptes consolidés sont augmentés et passent:

  •  pour le total du bilan, de 15 à 24 M €;
  •  pour le montant net du chiffre d’affaires, de 30 à 48 M €;
  •  le nombre moyen de salariés reste fixé à 250, mais l’article ne spécifie plus qu’il s’agit de salariés permanents.

L’écart d’acquisition comptabilisé à l’actif est rapporté au résultat sur sa durée d’utilisation. Un règlement de l’ANC fixe les critères permettant de déterminer la durée d’utilisation, limitée ou non, de cet écart. Dans des cas exceptionnels, lorsque sa durée d’utilisation ne peut être déterminée de façon fiable, il est amorti sur une période de dix ans. Un règlement de l’ANC fixe les conditions selon lesquelles l’écart d’acquisition comptabilisé au passif est rapporté au résultat. Que sa durée soit limitée ou non, l’écart d’acquisition comptabilisé à l’actif fait l’objet d’une dépréciation lorsque sa valeur actuelle est inférieure à la valeur comptable et si l’on prévoit que la perte est durable.

Ces dépréciations ne sont jamais reprises

Il est mis fin à l’amortissement systémique de l’écart d’acquisition et à l’inscription de cet écart dans les capitaux propres ou à l’imputation sur ceux-ci dans les comptes consolidés. La possibilité, pour la société consolidante, de faire usage de règles d’évaluation destinées à tenir compte des variations de prix ou des valeurs de remplacement est également supprimée.

 

   4. Rapport de gestion

Les seuils à partir desquels les sociétés sont dispensées d’établir un rapport de gestion sont augmentés:

  •  total du bilan: 4 M € au lieu d’1 M €;
  •  montant net du chiffre d’affaires: 8 M € au lieu de 2 M €;
  •  nombre moyen de salariés employés au cours de l’exercice: 50 personnes au lieu de 20.

 

   5. Autres dispositions

Deux mesures de simplification sont à signaler:

  •  suppression du livre d’inventaire;
  •  possibilité de tenir le grand livre sous format électronique

 

Un travail considérable a ainsi été réalisé par le législateur et l’ANC dans le délais imparti, pour rendre la réglementation comptable française compatible avec la directive, même si certains choix manquent d’ambition (en particulier exemption dans les comptes sociaux au respect des exigences liées au principe de substance) ou font débat sur leur légalité au regard du droit de l’UE. La France  a en particulier fait le choix de ne pas rendre systématiquement obligatoire l’amortissement du fonds commercial dans les comptes individuels, tout en prenant la précaution d’imposer aux entités qui n’amortissent pas cet actif d’effectuer chaque année un test de dépréciation. Les nouveaux textes accordent même, pour cette immobilisation, une présomption de durée d’utilisation non limitée. Ce qui revient à dire que les entreprises françaises peuvent présumer, certes de façon réfutable, que leur éventuel fonds commercial dans les comptes sociaux ne doit pas être amorti.

Dans son article 12, la directive indique que

les immobilisations incorporelles sont amorties sur leur durée d’utilisation. Dans des cas exceptionnels, lorsque la durée d’utilisation du fonds de commerce et les frais de développement ne peuvent pas être estimés de manière fiable, ces actifs sont amortis sur une période maximale fixée par l’Etat membre. Cette période maximale ne peut être inférieure à cinq ans et ne peut dépasser dix ans. »

La directive utilise le terme de « fonds de commerce », alors que le droit français parle de « fonds commercial ». Pour la directive, le fonds de commerce constitue, lorsqu’il est acquis à titre onéreux, une immobilisation incorporelle. En France, le fonds de commerce regroupe l’ensemble de éléments, tant corporels (immobilisations corporelles, droit au bail, stocks) qu’incorporels (clientèle, achalandage, enseigne, nom commercial, parts de marché), nécessaires à l’exercice d’une activité commerciale. Le fonds commercial correspond précisément aux éléments résiduels du fonds de commerce. La question se pose donc de savoir si le traitement comptable du fonds commercial prévu par les nouveaux textes français doit être identique à celui du fonds de commerce prévu par la directive. 

Il semble bien que oui selon la majorité des professionnels consultés. Bernard Colasse, professeur émérite à l’université de paris-Dauphine, considère que la position française est

un peu tirée par les cheveux. »

Le président de l’ANC  lui même a reconnu le 9 février 2016, lors d’une conférence IMA France, que

l’amortissement obligatoire des immobilisations incorporelles est une interprétation plutôt majoritaire de la directive comptable »

alors même que l’ANC a décidé, via un règlement homologué par arrêté du 4 décembre 2015 signé conjointement par Emmanuel Macron, Michel Sapin et Christina Taubira, de prendre une position hexagonale, susceptible d’être critiquée par nos partenaires.

Il est vrai que l’Etat actionnaire se ménage ainsi plusieurs milliards de dividendes qu’il tire de ses participations, notamment dans Orange (23,6 Mds€ de fonds commercial dont la totalité provient de malis de fusion, dans ses comptes sociaux). C’est aussi un geste colossal (242 Mds€ de fonds commerciaux dans les comptes individuels des entreprises françaises au 31 décembre 2013 selon les données de l’INSEE) que l’Etat fait à ses entreprises en les épargnant d’une charge d’amortissement et en préservant ainsi, à court terme en tout cas, la profitabilité apparente de l’économie hexagonale. En ayant pris cet arbitrage, l’Etat évite enfin de courir le risque de subir une pression énorme de la part des entreprises susceptibles de demander la déduction fiscale de la charge d’amortissement de leurs fonds commerciaux. Voilà une position comptable non seulement qui ne coûte rien à l’Etat mais qui améliore aussi à la fois les finances publiques et privées !

Le législateur français a beau jeu de faire remarquer que l’arbitrage ainsi retenu pour la dépréciation des fonds commerciaux dans les comptes individuels est conforme à celui retenu pour les goodwills dans les comptes consolidés par la norme IFRS 3R sur les regroupements d’entreprises. On notera cependant, qu’à l’issue du processus de revue « post implementation » de la norme IFRS 3R, l’IASB a publié en juin 2015 un rapport identifiant les sujets sur lesquels des travaux de recherche complémentaires pourraient être engagés, et plus spécifiquement l’amortissement ou non du goodwill. A l’inverse, il sera fait observer que la position française sur le non amortissement  systématique  des fonds commerciaux dans les comptes individuels pourrait ne pas respecter le principe de  prudence retenu par la directive, mais non conforme à l’esprit du nouveau cadre conceptuel de l’IASB.

En tout état de cause, les nouveaux textes français stipulent:

  • qu’un test de dépréciation du fonds commercial doit être réalisé à chaque clôture d’exercice en cas d’indice de perte de valeur;
  • que la perte de valeur d’un groupe d’actifs est imputée en priorité au fonds commercial;
  • que la perte de valeur d’un fonds commercial est, par exception, définitive.